Ayant été cheminot pendant 36 ans, je vais vous expliquer comment on fait pour fermer une ligne de chemin de fer.
Tout d'abord, il faut savoir que la décision est prise au plus haut niveau, c'est-à-dire dans les bureaux bien chauffés des « élites » parisiennes.
Ensuite, la seule région, où on construit des lignes, est la région parisienne. Il est vrai qu'on construit des lignes TGV, au départ de Paris, et on prend soin de préciser « en direction de la province », comme s'il existait une vague colonie parisienne qu'on appellerait ainsi.
Chez nous on les démonte! Des régions entières sont condamnées à mourir parce qu'elles ne présentent pas d'intérêt pour les dirigeants parisiens.
Depuis la parution de cette page, en mai 2001, j'ai reçu beaucoup d'encouragements et d'approbations.
Une des mauvaises raisons invoquées est que la ligne, dont on veut provoquer la fermeture, n'est pas rentable. Tout d'abord, qu'est la « rentabilité » d'un moyen de transport ? Parle-t-on de « rentabilité » pour une route ? Non, on décide de sa construction et puis c'est tout. Ensuite, on l'utilise. On dépense des milliards pour entretenir un réseau de routes le plus dense du monde, y compris les plus petits chemins de vignes. Mais on ne trouve pas d'argent pour changer quelques traverses sur une petite ligne de chemin de fer.
On invoque également la non-fréquentation pour ces lignes de chemin de fer, alors qu'on trouve des routes, entretenues régulièrement, où il passe une ou deux voitures par jour.
Ensuite on utilise tous les moyens pour faire baisser artificiellement l'utilisation de la ligne:
Il est certain que s'il n'y a plus de train qui s'arrête dans une gare, le nombre de voyageurs devient nul. Un enfant de dix ans comprendrait cela.
Par exemple, on laisse seulement un train le matin et un le soir. Et surtout pas dans les horaires où les ménagères peuvent aller au marché.
Ainsi, on fait circuler des bus aux mêmes heures que les trains, sur les mêmes parcours, pour enlever les enfants des collèges.
Pendant des années, on fait partir des trains avant qu'arrive le train qui amènerait des voyageurs en correspondance.
On supprime d'abord des « points de vente ». Grâce à cette astuce, plus personne ne paye, car il est impossible à un contrôleur de faire quinze billets en cinq minutes. Ensuite, on supprime l'arrêt parce qu'il n'y a plus de recette.
Certains penseront que j'exagère et que je suis à la limite de la diffamation. Pas du tout: quand on veut tuer son chien, dit le proverbe, on dit qu'il a la rage. Ainsi, certaines lignes n'avaient eu aucune réparation, ou presque, depuis la guerre de 40. Brusquement, on change les traverses, les rails, on rénove les gares. Puis, à la fin de l'année, ou de l'année suivante, on présente un bilan. Voyez, cette ligne nous coûte trop cher, elle n'est pas « rentable ». C'est feindre d'oublier qu'on a artificiellement gonflé le chiffre des dépenses pour justifier la fermeture et, le tout, avec l'argent des cochons de payants. C'est de la manipulation, mais aussi de la gabegie.
Cette méthode sera déjà très utilisée pour la ligne de Cluny mais atteindra des sommets avec la ligne d'Autun (voir plus loin).
Pour justifier des suppressions de lignes, on invoque des prétextes: pont à construire pour une autoroute, passage de TGV, etc. De façon générale, quand on veut vous envoyer sur les roses, on vous écrit: "Des considérations techniques s'opposent à...". Traduisons "Mêlez-vous de ce qui vous regarde!".
Je vais vous donner deux exemples que j'ai personnellement vécus parce que je travaillais sur ces lignes.
Pour la description de cette ligne, cliquez ici.
Il faut dire que pratiquement aucun entretien n'avait été effectué depuis la guerre de 40, à tel point qu'on a assisté à des déraillements par écartement des rails sur voie principale. J'ai moi-même ôté des tire-fond à la main, car les traverses étaient dissoutes et seule la terre les tenaient en place.
Brusquement, on a assisté à un branle-bas généralisé. On a changé des traverses à tour de bras, des rails. On a refait les locaux des gares, les logements. On a construit une gare à Taizé, etc. Je n'ai nullement l'idée de dire que ces travaux constituaient un luxe, mais pourquoi si tard? Puis on a sorti les fameux arguments:
- La ligne n'est pas « rentable », elle nous coûte trop cher en travaux,
- Il faudrait faire un pont à Mâcon pour l'autoroute. Le pont a quand même été fait, mais c'est une route qui l'emprunte.
- Le tunnel de Bois Clair, entre Cluny et La Croix Blanche, présente des défauts et il faudrait le réparer. Depuis, on l'a loué à une champignonnière.
Pour prouver à quel point la décision était politique, il faut dire que la suppression était déjà décidée, les indicateurs édités en conséquence, on l'a « provisoirement » « maintenue » en activité pour trois mois pour passer des élections législatives (au début de la présidence Pompidou).
En réalité, la suppression de cette ligne fit le bonheur de la RTSL (Régie des transports de Saône et Loire) avant que celle-ci ne soit déclarée en faillite, pour mauvaise gestion...A noter le rôle tenu par la SCETA, filiale à 100% de la SNCF et qui « pousse » toujours au « transfert sur route ».
D'ailleurs, on ne supprime pas une ligne, on la « transfère sur route »: admirez l'euphémisme!
Seul un train de marchandises fut maintenu pendant une vingtaine d'années entre Chalon et Cluny et retour, bientôt limité à Massilly.
Le trajet de cet unique train était très problématique, compte tenu de l'obligation de s'arrêter pour fermer les passages à niveau (et les rouvrir ensuite).
On prit cependant bien soin d'édifier un pont au-dessus de la ligne, juste avant l'arrivée en gare de Cluny, pour faire passer la ligne TGV.
Depuis la voie ferrée a été déposée pour faire place à une « voie verte » où s'ébattent cyclistes et patineurs. En ce qui me concerne, la seule voie verte que je connaisse est celle sur laquelle circulent des trains!
Pour la description de cette ligne, cliquez ici.
On a engagé une politique de grands travaux. On a conforté le tunnel et installé des dispositifs d'alarme. Plus grave, on a arrêté toute circulation pour réparer les deux viaducs. On les a décapés jusqu'à la maçonnerie et on a remis celle-ci en état. On a posé une couche isolante et on a rechargé le ballast et la voie.
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Coupure par le TGV |
De deux choses l'une:
- ou on décidait de fermer les lignes tout de suite,
- ou on faisait ces travaux importants et il fallait les garder ouvertes!
Non seulement on a fait mourir à petit feu des régions entières, mais on a gaspillé l'argent du contribuable et creusé un peu plus le déficit de la SNCF.
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Date de mise à jour: 03/11/2006 | Consultez les nouveautés | Rassemblé par Gilbert Gillet |